Êtes-vous surpris par le choix de Sabri Lamouchi à la tête des Eléphants de Côte d’Ivoire.
 
On le serait à moins. Je tiens avant tout à préciser que mes propos ne sont entachés d’aucun vilain sentiment qu’on pourrait m’attribuer en tant que candidat potentiel à la présidence de la FIF depuis 10 ans, mais tout simplement en tant qu’ivoirien et acteur sportif dans mon pays.
 
Lamouchi a 40 ans, 8 sélections avec la France, il n’a jamais entrainé de club, il a obtenu son diplôme d’entraineur, il n’y a que quelques jours. N’est-ce pas un peu court ?
 
Il a un parcours de footballeur qui est respectable, mais il a un CV d’entraineur parfaitement vide.
 
Un confrère ivoirien a parlé de « Pari risqué du président de la FIF, qui selon lui, a engagé un novice. Etes-vous d’accord avec lui ?
 
Oui. Effectivement, c’est un pari risqué, et le journaliste résume parfaitement la situation. Nonobstant sa qualité de consultant sur Canal +, Lamouchi n’a pas encore fait ses preuves en tant qu’entraineur. Aujourd’hui, il est accueilli avec beaucoup de scepticisme.
 
Est-ce que ce n’est pas un sélectionneur par défaut comme disent beaucoup d’ivoiriens ?
 
Pour ce que je sais du président de la FIF, Sidy Diallo, qui est un ami, c’est un Homme à principes. Il a dû se laisser séduire par le discours de Lamouchi, qui a une bonne lecture pédagogique du football. Mais entre les bons principes, les bonnes idées et l’application sur le terrain de football, il y a un pas qui pourrait devenir un gouffre, lequel pourrait être préjudiciable au football ivoirien.
 
Après un passage au mondial 2010, Sven-Göran Ericksson était pressenti pour revenir en Côte d’Ivoire, pourquoi est-ce que ça ne s’est pas fait ?
 
Il va sans dire que Sven Göran est très exigeant au plan financier. Ceci dit, ce n’est pas une excuse totale et pleine. Parce que, je suis convaincu qu’il y a bien d’autres entraineurs qui sont moins exigeants et qui ont un peu plus d’expérience que Lamouchi. Je pense à Alain Giresse, Bruno Metsu et bien d’autres techniciens qui sont libres.
 
On dit que Sven-Göran coûte quand même 150 à 300 mille Euros (98 à 196 millions de francs CFA) par mois, est-ce trop cher pour la FIF ?
 
Oui, mais ce sont peut-être des prix qui sont pratiqués au haut niveau européen, mais en Afrique, c’est énorme. Il faut dire qu’il y a des entraineurs qui se contenteraient du tiers de cette somme-là et qui pourrait à mon avis relever le défi de la Côte d’Ivoire.
 
Mais votre fédération n’a-t-elle pas le soutien financier de gros sponsors ?
 
Je pense que la FIF, comme l’ensemble du football ivoirien est victime de l’environnement post-crise de la Côte d’Ivoire. Effectivement vous pouvez me rétorquer qu’avec des joueurs comme Drogba, Yaya Touré, Gervinho, Kolo… le football ivoirien  est capable d’attirer de très gros sponsors, même hors du pays. Maintenant, c’est une question de management et de marketing.
 
Lors du passage d’Erickson en Côte d’Ivoire (2010), la Présidence de la République avait donné un coup de pouce financier à la FIF. Est-ce que ça peut se reproduire aujourd’hui ?
 
Logiquement, le gouvernement ivoirien se charge souvent du salaire de l’entraineur de football, mais je ne sais pas quelles sont les préoccupations du gouvernement actuel, qui peuvent peut- être divergentes de celles du gouvernement que présidait Gbagbo. Mais je crois savoir qu’il y a matière à discuter avec le gouvernement pour ne pas se tromper. On se demande alors, au niveau de l’opportunité, si la FIF n’a pas subit de pression. Certains parlent des joueurs, mais je n’ose pas croire. Je pense que les joueurs ivoiriens sont des gens qui aiment leur pays et qui ne refuserait pas de venir en sélection où d’imposer un dictat au président de la Fédération concernant un entraineur.
 
Le temps presse, les qualifications pour la Coupe du Monde 2014 débutent le 02 juin 2012 pour la Côte d’Ivoire. Est-il vrai que Zahoui a été débarqué à la demande de plusieurs joueurs dont Drogba et Yaya Touré ?
 
Je ne saurais vous l’affirmer. Comme vous effectivement, j’ai entendu des choses, mais ce sont des rumeurs. Je sais qu’il y a eu beaucoup de frustrations et de grincements de dents notamment après la finale perdue contre la Zambie. Mais, je pense aussi que de manière raisonnable, il était préférable que Zahoui reste en place, au moins pour les deux premiers matches des éliminatoires du Mondial (02 et 08 juin 2012). Mais, la soudaineté et la brutalité de cette décision peuvent justifier ces rumeurs.
 
Ce n’est pas la première fois qu’un entraineur africain est débarqué au profit d’un collègue européen. Pourquoi est-ce que les africains sont-ils minoritaires sur leur propre continent ?
 
Certains parleraient de complexe, parce que le complexe est à plusieurs niveaux. Il est au niveau des instances dirigeantes et aussi au niveau des joueurs. La plupart des joueurs africains qui évoluent en club professionnel estiment qu’ils ne devraient pas subir l’autorité d’un entraineur local. C’est un problème d’ordre psychologique et social. Je crois qu’au niveau des dirigeants aussi, il y a ce problème là. Souvent, ils prennent un entraineur expatrié pour pourvoir se couvrir sous un parapluie. Ils pourraient dire après : « on a pris un très bon entraineur, si on n’a pas de bons résultats, ce n’est pas ma faute, c’est celle des joueurs ». Tout ça est dangereux.
 
Zahoui, Lamouchi, Sidy Diallo, est-ce que  tous ceux-là ne sont pas secondaires ? Est-ce que le vrai patron du football ivoirien n’est pas Didier Drogba, vainqueur de la Ligue des champions 2012?
 
Ecoutez, le problème se pose hein ! On ne peut pas aujourd’hui ignorer l’importance qu’a Drogba. Mais sur le principe, on ne peut pas permettre qu’un joueur évoluant encore sur le champ de jeu  puisse avoir une importance au niveau des décisions aussi grandes. Maintenant, il est clair que quand on a un joueur de la trempe de Didier Drogba, qui a un tel impact au niveau du football dans le monde entier, on tient compte de son avis. Mais, il n’est pas le seul chez les Eléphants, il y a Yaya Touré, Gervinho, Kolo et autres. Il ne serait donc pas bon qu’un seul joueur puisse influencer des choix qui concernent le collectif. Ceci dit, je n’ai pas d’éléments démontrant que Drogba a pesé de tout son poids pour Lamouchi.
 
Retranscrit par Alexis KOUAHIO, source RFI